Comme
à chaque fois qu’intervient tel déferlement de violence, le temps
de la réflexion suit celui de la consternation, lui-même précédé
par la sidération. Strasbourg est un mausolée. On a beau revoir les
nuées de touristes réinvestir le marché de Noël, la retenue est
palpable. Et si parfois des rires et des éclats de voix se font
entendre, ils sont vite éteints par le rappel à l’ordre des
dépôts spontanés des passants aux endroits où sont tombés des
innocents : centaines de bougies et lumignons, témoignages
d’inconnus griffonnés sur des bouts de papiers, petits objets
divers déposés en offrande.
Mais
ce qui m’a surtout frappé au lendemain de la mort du tueur, c’est
l’interview de ses parents, dans l’appartement du père. Ce qui
m’a frappé, ce ne sont pas ses propos, essentiellement articulés
autour d’un conditionnel mal maîtrisé (en gros : si j’avais
su qu’il avait de tels desseins, je l’en aurais dissuadé, si
j’avais su où il se cachait, je l’aurais persuadé de se rendre
et j’aurais encore mon fils).
Ce
qui m’a frappé, c’est l’arrière-plan.
Ce
qui m’a frappé, c’est ce mur de la salle à manger portant des
traces de papier-peint en lambeaux. Des haillons muraux pendouillant
lamentablement de la cloison depuis combien de temps ? Ce qui
m’a frappé, c’est la laideur. Et qu’on ne vienne pas me dire
que c’est une question de pauvreté. On trouve sur le Bon coin des
rouleaux de tapisserie à un euro pièce.
Alors
j’ai pensé que ce qui a tué ces innocents mardi dernier, c’est
cette laideur consentie, ce mur dégradé proclamant la démission
définitive de la Beauté. Voilà sur quoi se sont posés les yeux du
futur tueur pendant toute son enfance, toute sa jeunesse. Une débâcle
esthétique devenue banale, devenue la norme. Que serait-il devenu,
et ses futures victimes avec lui, si à la place de ce mur pitoyable
le père ou la mère avait eu l’idée d’accrocher ne serait-ce
qu’une image ?
Je
me souviens que lorsque j’avais neuf ans, mes parents étaient
revenus de la foire de Marseille avec deux reproductions de tableaux
collées sur du contreplaqué : les canotiers de Renoir et un
sous-bois enneigé de Pissarro. J’ai passé des heures de mon
enfance à les admirer, ces œuvres qui trônaient sur les murs de la
salle à manger. On n’était pas très riches mais ce jour-là la
Beauté est entrée dans la maison.
Et
avec elle, la paix.